PRELUDE

Chapitre 1


Prélude : Notre Ramina a pris par orgueil ses aises sur une branche inconnue.
Téméraire, elle s’est obstinée jusqu’au bout de cette dernière et finalement une chute brutale l'entraina loin, très loin de ses habitudes. Ayant atterri avec perte et fracas au beau milieu d’une colonie d’êtres à plumes, elle s'est vu houspillée et bousculée par la volaille en leur nid dérangée. Puis d'un fouin d'ailes, fi d'elle, les oiselets l’ont lâchement laissée seule.



Il n’est pas pire pour un chat que de se retrouver pattes en bourbier surtout lorsque la saison se fait fraîche et humide. C’est pourtant bien là que nous retrouvons notre Ramina. Si fière en temps normal d’aller de gouttières en cheminées (pour cela elle a pris des cours chez Mary Poppin’s), la minette a perdu pattes et c’est au beau milieu de nul part, en pays inconnu et barbare (au sens littéraire du terme s’entend bien entendu) qu’elle se retrouve à brosser son panache afin de retrouver, à défaut de son chemin, un semblant de dignité.

On l’entend ainsi chantonner, tandis qu’elle se fait toilette.
'Pas le moindre lapin blanc et pourtant et pourtant,
Pas le moindre lapin blanc mais la folie me prend …'

La mine redevenue celle d’une chatte vertueuse (elle a dans l’idée qu’une telle apparence pourrait lui éviter des ennuis), il est temps qu’elle reprenne les choses en patte (reprendre la marche en somme) et foi de ses moustaches, ce n’est pas le manque d’étoiles ('Marchand de sable mais où es-tu donc ?') qui la verra rester inerte attendant la découverte d’une hypothétique boussole (pas certaine d’ailleurs que le sud soit en face du nord dans un endroit qui ressemble tant à celui d’Alice).

Après tout, il faut bien que cela vous soit enseigné un jour ('j’ai été professeur une fois si si !'), les boussoles ne poussent pas comme les champignons (même en terrain humide), elles ne tombent pas non plus des arbres comme des fruits murs (même après 60 ans) et elles n’apparaissent pas non plus sans explication comme le ferait Nessie, la plus aimée parmi tous les mythes admirables dont notre époque s’acharne à prouver l’inexistence (comme si cela n’était pas parfaitement contre-productif).

Donc résolue à retrouver son chemin (si quelqu’un l’aperçoit merci de le ramener au bureau des objets perdus), minette à bon train (les chocolats de Noël sont passés par là) se met en marche vers le plus proche ailleurs qui soit en ce nul part … Autrement dit, alléchée par l’odeur, c’est le filet des senteurs délicates d’une cuisine qui la mène tout droit à la restauration la plus proche.

'Mon dieu, il est des chutes qui parfois ont des conséquences intéressantes !' se dit-elle.

Devant notre Ramina, c’est un buffet magnifique qui s’offre et se laisse tour à tour désirer et dévorer.
'Miam !'

Un peu de ceci, un peu de cela et notre greffière sent déjà son moral remonter. Il faudra bien repartir pour le haut de la butte tout à l’heure mais l’instant est à la ripaille et quelle ripaille mes amis. Installée au soleil (bizarre mais c’est ainsi au pays des merveilles), un plateau bien garni (dans les limites de sa carte d’accès buffet universelle), minette souriante s’occupe de ceci et mange de cela en analysant les étranges créatures qui peuplent l’endroit. La plupart d’entre eux lui rappellent ce reportage qui devait sortir prochainement au cinéma : ‘La marche de l’empereur’, les autres oscillent entre diverses espèces de volatiles : ‘des paons’, ‘des linottes’ et peut-être même quelques ‘coucous’ qui se gaussent, jacassent ou tentent d’atteindre le nid de leurs voisins. Aucun ne lui prête vraiment d’attention …

'Un chat pourtant cela détonne dans une volière !

Le repas est enfin avalé (même pas une plume en travers du gosier) et bien qu’ayant pris tout le temps possible, il faut bien avouer que celui que notre Ramina a perdu est sans rapport avec le temps que duraient les repas qu’entourée des siens autrefois, elle prenait.

'Autrefois ? ? ? Est ce déjà si loin ?'

La nostalgie qui la prend lui sert le cœur. Elle sent la moutarde lui picoter la truffe et c’est pour que nul personnage à plumes ne la voit dans cette faiblesse attitude qu’elle s’en retourne d’une patte lourde vers le lieu de sa chute première.

Chapitre 2


Prélude : Nuit, Jour, Nuit, Jour, Nuit, Jour …
Le rythme lent et sans entrain des heures sans réelle activité berce le Ramina. Pas le moindre camarade à voir ou à déranger. Il n’y a décidément par ici que des emplumés sans grand intérêt.



Bon d’accord, il y a le hibou, une vieille figure ailée qui d’un arbre à un autre cherche un peu de compagnie et prend parfois gentiment le temps d’un café en devisant du temps qu’il fait, du temps d’avant ou du temps qui passe. C’est un brave emplumé, un peu gauche il est certain mais qui a bon fond. Il a du vivre longtemps pour en être à ce point, trop longtemps évidemment pour une cervelle de piaf. Mais l’infantilisme de son ton ne le rend pas moins sympathique au Ramina solitaire. Il est comme un grand-père sur un banc du square, qui de temps en temps arrête un enfant dans sa course et lui raconte les histoires d’avant …
Avant quoi d’abord on ne le sait pas et peu importe.

Et puis il y a le père busard, un faux affreux jojo, vrai vieux garçon, amical mais sans plus, gentil mais sans chaleur, disponible mais occupé, joyeux drille mais pas avec un chat. Ce tas de plume est plutôt banal mais il est connu de tous. Il pourrait s’il le voulait, mais il ne veut pas c’est tellement plus commode ainsi. Alors il côtoie le chat bien entendu mais seulement ce qu’il faut pour ne pas avoir mauvaise conscience. C’est un érudit du relationnel, celui qui s’intègre toujours, celui dont il faut suivre la trace mais qui au fond n’est qu’un solitaire entouré.

Enfin il y a tous les autres, tous les autres mais le Ramina se sent si seule ...

Voilà ce que c’est aussi que toutes ces fariboles : 'Les chats ne font pas des chiens', 'Quand le chat n’est pas là les souris dansent', 'La nuit tous les chats sont gris' …
C’est un fait certain à force de classer, trier et ranger, nous avons surtout fini par séparer, diviser, éparpiller. C’est ainsi que le Ramina songe en cet instant. Et elle se souvient aussi qu’elle n’a peut être pas fait d’effort non plus quand elle en avait le pouvoir et que d’autres ont vécu ce qu’elle vit là.

La vie et la roue tournent et nous forcent à réfléchir à ce que nous avons pu être avant.

Ce n’est pas tout ça (ou chat) que de réfléchir mais le Ramina est bien seul au pays des merveilles et ce n’est pas le peuple des plumes qui saura intégrer un panache en son sein. Que faire ? le Ramina pourrait certainement y mettre du sien (et pas du chien) et aller au devant de ce nouveau monde mais …
Mais quoi en fait ? Quoi véritablement ? Et bien c’est la frousse qui nous la tient notre Ramina, la frousse de faire, la frousse de parler, la frousse de s’intégrer, la frousse et la solitude sans doute.

Tentative numéro une c’est le grand rassemblement de la plume de l’année. Tout le monde se rassemble et M’lle Plumâtre a, dans sa grande mansuétude, décidée d’accompagner Ramina la nouvelle venue afin qu’elle ne manque pas ce 'formidable' événement. Le Ramina se sent fléchir uniquement à voir tous ces poulets non grillés qui se pressent dans l’espace de 2 cantines. Elles sont pourtant grandes mais à voir le monde y entrer par vague la claustrophobie provoque instantanément frissons et aigreur d’estomac. Partout des écrans qui doivent retransmettre les interventions et permettrent à chacun d’y voir son content. Comme si ce n’était pas pour le buffet, magnifique au demeurant, que chacun se presse. D’ailleurs les regards appuyés, les becs claquetants et les frôlements d’ailes prouvent le fait sans nul doute.

La soirée déroule ses strass, pullulent les idioties et les cols trop serrés, au bout du compte le Ramina n’a plus du tout faim alors sur une cabriole discrète, sur la pointe de ses coussinets, à l’anglaise pourrait-on dire si le Ramina n’était pas farouchement française, elle gagne la sortie et prend la porte.

Echec …

Chapitre 3


Prélude : La situation semble figée comme une journée éternellement renouvelée, sans nouveauté, sans surprise, sans activité non plus d’ailleurs. Vous souvenez-vous du jour de la marmotte ? Et bien ici c’est le jour du Ramina !.



Et le Ramina s’en taille les griffes de savoir que d’autres passent toute leur vie ainsi dans la plus grande des satisfactions. Le Ramina veut que tout bouge, que la vie pétille, que les choses s’emballent. Elle veut être débordée, elle veut apprendre, elle veut comprendre, elle veut voir, découvrir, goûter, suer sang et eau.

Il y a un proverbe qui dit : 'Qui ne tente rien n’a rien'. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Il y a des tas de gens qui ne tentent rien de rien de toute leur vie (le Ramina elle ne tente rien depuis quelques semaines). Alors ils n’ont pas de souci, pas de conflit, pas de mauvaise surprise, pas de colère, ni de tristesse, pas de haine mais pas d’amour non plus (le Ramina elle se ronge d’ennui, cherchez l’erreur). Ils ont une vie fade et sans saveur, cela leur convient mais il ressemble alors à des oisillons qui resteraient à jamais dans leur coquille (Caliméro ?). Tomber de cheval (idée curieuse pour un chat), se prendre une veste (il fait frisquet ces derniers temps), s’étendre lamentablement (pas de lessive en vue) c’est aussi découvrir par l’échec non ? Donc retour au pied du mur (de l’arbre en ce qui nous concerne) et en avant pour l’aventure.

Le Ramina s’échauffe en quelques pas de danse et c’est reparti pour la valse à 3 temps, qui s’offre encore le temps, qui s’offre encore le temps de s’offrir des détours du coté de l’ennui, oh comme c’est gavant ! Une valse à 4 temps c’est beaucoup moins lassant, c’est beaucoup moins lassant mais tout aussi navrant qu’une valse à 3 temps, une valse à 4 temps. Une valse à 20 temps, c’est beaucoup plus marquant, c’est beaucoup plus marquant, mais beaucoup moins rasant qu’une valse à 3 temps, une valse à 20 temps. Une valse à 100 temps, une valse à 100 temps, une valse ça détend mais ça n’est pas marrant lorsque à contretemps, le Ramina sans but dans le cirque débute. Une valse à 1000 temps, une valse à 1000 temps, notre valse a mis l’temps mais n’a pas donné tant que ce qu’elle nous reprend La lala la la lala la.

Oufff la tête finie par tourner à voltiger ainsi d’une non tâche à l’autre, mais les emplumés, eux, continuent leur manège indéfiniment. Discussions acides et ragots d’une part, courbettes et grands saluts de l’autre, un soupçon de 'Voyez ce beau rien qu’est mon projet' et une pincée de condescendance amusée pour ceux que le système laisse perplexes. Une pause en 2 temps devant une tasse de café chaud ? Un entre-tchat (sur réseau) et 2 pointes (acides), ce n’est décidément par le chien qui fait remuer la queue mais bien cette dernière qui entraîne l’ensemble.

Et le Ramina dans tout cela ? Le Ramina fait parti des meubles à l’égal d’une chaise, d’une lithographie ou d’une plante verte. Idée peu encourageante que celle d’être une plante verte en pareille flore. Cela sous-entend un manque d’esprit absolu et le Ramina n’est pas ainsi. Cependant, et c’est un fait, si l’on a l’air de manquer d’esprit c’est peut-être que l’on a oublié d’en faire part aux autres.

faute faute et re faute, le Ramina ne s’intègre pas, le Ramina miné rame :
'Que faire ? Il faut bien que tout cela change, j’ai le poil qui me démange à rester posée sur ma branche', se dit t’elle.
'Il faut s’exprimer, dire les choses mais à qui ?'

Ceux qui auraient le pouvoir sont des plumes d’honneur.
Par exemple, la famille pingouin au grand complet (mais ils ont la fâcheuse tendance à être d’une autre banquise) ou Mlle Plumâtre, qui consent de temps à autre à descendre des cimes. Elle est plus courante cela va s’en dire mais 'argggggggg !'.

N’allez pas conclure de cet étranglement inopiné que Mlle Plumâtre puisse être un volatile désagréable. Non point du tout ! Mlle Plumâtre est de ces personnages qui présentent une face lisse, vitrée, douce mais glaciale. Le sourire est de toutes ses interventions. La poignée de plume est nette. La cordialité est de raison. Mais, et c’est tout comme les chats ne font pas des chiens, Mlle plumâtre n’a pas de chaleur à transmettre dans son touché ailé. Elle survole la jovialité sans s’y abaisser. Elle s’acclimate à la lie mais ne s’y liera pas. Elle donne peu finalement et c’est là tout le mal (et c'est bien connu, le mal est partout lol). Finalement, on pourrait dire qu’elle pratique l’égoïsme du relationnel. De toute façon, elle doit migrer tantôt.

Chapitre 4


Prélude : L'ennui laisse du temps, trop de temps surement car on prend celui de rêver et de ressasser surtout.




Miss Plumâtre s’en est allée. Le Ramina se sent plus inutile que jamais au pied de son arbre en la compagnie peu divertissante d’un tas de volatiles plus mesquinement fermés les uns que les autres. Elle fait donc ce qu’elle peut de ses pattes incapables de voler de branches en branches. Pour remonter vers un semblant de surface, reste l’escalade mais la pente du tronc est rude et c’est à chaque montée un nouveau challenge sans but visible. Le Ramina semble avoir repris le rôle de Sisyphe mais au lieu de pousser un rocher, c’est une escalade sans fin qui s’offre à elle.

'La chute fût-elle si longue ?', s’interroge t’elle parfois. Comme seul le vent et les échos répondent à ces murmures, elle n’en tient compte et reprend le chemin de la prochaine branche.

Les oiseaux se moquent souvent de ses efforts ou alors pire les ignorent. C’est une bête bien mal attentionnée que l’oiseau dans sa nature profonde. Bien entendu, ils sont prompts par politesse à vous faire maints claquements de becs et roulades de plumes. Mais qu’il s’agisse d’avoir le besoin d’aide, d’une compagnie ou simplement d’un peu de gentillesse et c’est l’envolée de moineaux.

Le Ramina se souvient d’un autre lieu où, déjà, une escapade quelque peu irréfléchie l’avait fait atterrir. Là aussi, elle avait rencontré de ces êtres curieusement sympathiques mais dont le toucher vous laisse une vague impression de malaise. On pourrait dire qu’il y a dans les êtres sensibles un sens dédié uniquement à l’évaluation des personnalités dont les chemins croisent les leurs, ainsi est le Ramina qui a vécu cela.

C’était, il y a déjà quelques temps, le Ramina n’avait encore qu’un peu de duvet au menton et le panache ridiculement étriqué d’un chaton en âge d’apprendre. Premiers pas, premiers faux pas aussi, un nouveau monde s’offrait aux jeux de notre Ramina, qui ne savait pas encore qu’elle serait Ramina un jour. Elle était vive (non policée, brut de décoffrage dirait-on), sucrée à la lueur d’un pourtant pâle soleil (l’enfance cache souvent les pires horreurs) et ignorante des règles de survie en groupe (il faut bien plus qu’un bouclier pour entrer dans l’arène). Puis d’un seul trébuchement, la voilà retombée de l’autre coté du miroir.

C’est au beau milieu d’une affolante cour d’individualités variées et complexes que le chaton reprit ses esprits (un vrai cirque). Des noirâtres, des gluants (on ne le sait pas toujours au premier abord), des fraîcheurs printanières, des douceurs de la campagne, des êtres sentant la poussière encyclopédique (nantis de leur savoir à en devenir pédants), d’autres fleurant bon la joie de vivre, des accros du verbe, des bavards indélicats, des jugements hâtifs (les pires sans aucun doute), des menteurs et des ironies perverses.

Des solitudes se souvient-elle, des solitudes surtout cherchant en ce dédale une personnalité capable de s’attacher à la leur ne fut ce que le temps d’une valse (à 3 temps qui s’offre encore le temps, qui s’offre encore le temps ...).

De tous ces souvenirs, émergent ceux d’un poète dénué d’orgueil et de ses joutes écrites. Ceux d’un piaf (déjà) vivant, vibrant et cachant derrière le faste de son plumage une âme plus profonde et bien moins fantasque que ce qu’il laissait envisager. Mais aussi ce soleil coquin dardant ses rayons sans pudeur et lui ayant appris à vivre les choses sans complexe et dont les lueurs apparaissent encore avec régularité. Une passion trop vite consumée. Un ami dans son cœur conservé et avant tout, au-dessous de tout, ce bonbon sucré de notre enfance qui est encore la plus fidèle d’entre les fidèles et la plus sincère certainement aussi.

Qu'on abandonne à l’oubli la mesquinerie, les brutalités, les insultes, les quolibets, les ironies cinglantes, les bons mots cruels, les sentiments bafoués, les colères d’un soir, les chutes et la jalousie, l’amertume et la grossièreté, jusqu’aux menaces et aux couteaux plantés entre les omoplates (c’est toujours là que frappent les lâches). Le Ramina les a sacrifiés, il y a bien longtemps au profit de l’expérience acquise.

C’est de cela que le Ramina est née. De la poussière, de la noirceur, de la cruauté mais aussi heureusement de toutes les beautés des amitiés qui naissent et ne se défont pas au premier coup de gel. Passer d’une friandise fadasse à un Ramina haut en couleur a pris plus d’une année complète mais c’est ainsi que l’on construit en un cycle achevé celui qui va le suivre.

Et le nouveau cycle se présente sous la forme d’une volière déraisonnable et désorganisée.
'Mais où donc est cachée la foutue notice de ces lieux ?'


Chapitre 5


Prélude : Nouvelle réunion au sommet, Monsieur BUZZARD a pris son envol pour quelques jours, Madame Plumâtre ne reviendra pas avant la belle saison et les feuilles tombent à foison.




La grimpette a bien épuisé notre Ramina et elle n’en peut plus de balayer feuilles et branchages de son panache qui se dépoile.
'Je vais finir avec la pelade', se dit-elle tristement.

Elle ne va pourtant pas se plaindre notre Ramina, c’est de l’occupation que de trier, ranger, balayer toutes les feuilles que nos 'amis', les pingouins, font valser à chaque surf d’un branchage à l’autre (le pingouin surfe, vous l’ignoriez peut être ?). L’ennui dans tout cela ? Il provient du décalage, oui, du subtil décalage entre ce qui devrait être et ce qu’il en est en réalité.

Je vous explique : Toutes les feuilles tombent et le Ramina grimpe. Or le poids de ces feuilles qui pourraient sembler déraisonnablement pesant à nos camarades emplumés n’est que duvet pour notre Ramina affairé. Autrement dit, c’est une occupation qui ne prend pas tant de temps qu’elle pourrait paraître en épuiser. L’ennui est toujours là car la solitude est toujours là et ce ne sont pas les quelques claquements de bec d’une pie moins farouche ou les envolées faussement détachées d’un maître coucou bravache qui peuvent changer cet état de fait.

Il est deux choses qui rendent un environnement déplaisant, la froideur de ses habitants et la fraîcheur de son climat et l’un ne va décidément pas sans l’autre. Le Ramina a froid depuis presque 1 mois désormais. Son pelage ne suffit pas à la protéger de toutes les bises aseptisées, des vents glacials, des bourrasques de dédain et de l’hypothermie ambiante. Le froid demeure et se faufile à chaque instant pour briser le peu de chaleur pris au creux d’un rayon de soleil ou contre un plumage moins gelé que les autres.

Pourtant le Ramina est là (las aussi cela va sans dire) et aussi vrai que ses moustaches la guident, elle prend tout doucement ses marques et sa place (une toute petite au milieu de la seconde branche) dans le décor de plumes, de neige et de feuilles mortes d’avoir été oubliées. Elle arrache sa place à coup d'utilité. Faire reconnaître cette utilité est la clef de l'existence ici.

La notice, le Ramina l'a trouvé, il lui faut se rendre indispensable pour attirer immanquablement la fatuité des emplumés originaires de ces contrées et les obliger ainsi à reconnaître son appartenance aussi passagère soit-elle à leur monde. Pour ceux qui se sont plongés dedans, rappelez-vous 'Le livre de D'ni' et le comportement des habitants qui finissent par ne plus voir ce qu'ils dédaignent tellement profondément. Notre histoire tient aussi de ce genre de comportement qui rend aveugle celui qui ne veut pas voir.

Pour leur rendre la vue, point de miracle, un bon coup de pied au cul et l'affaire est faite. Et en coups de pied au cul, le Ramina est diplômée avec mention 'excellence'. Déjà très jeune, une tare appelée l'honnêteté, a donné à notre félinesque petite héroïne ses lettres de noblesse dans l'art du 'pieddecutage'. 'Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire' rappelle le proverbe mais tout l'art consiste à les dire de manière à ce qu'elles soient bonnes à entendre. Remarquez dans un environnement tel que celui où le Ramina traîne ses pattes, il est sensé d'être prudent. Une chute de branche n'a jamais fait de bien à personne et à notre chat pas plus qu'à un autre.

C'est donc dans la diplomatie que l'éclairement devra se faire. Rendre la vue à nos aveugles, prouver la nécessité de son existence, s'imposer et s'exposer sans se faire exploser. Le Ramina a commencé tout doucement son infiltration des niveaux. D'un salut de queue à un clin de l'œil gauche, d'un sourire complice à un service rendu, elle est et se sent déjà un peu moins transparente. Les emplumés la salue en la croisant sur les branches. Maître Buzzard revenu lui laisse partager un peu de son assise. Les pingouins semblent moins hautains. Les bécasses restent distantes mais ce sont là une compagnie qui n'intéresse guère le Ramina. Les volatiles viennent solliciter notre chat de temps à autre lorsqu'ils ne savent comment s'y prendre d'une autre manière.

Bref, le tout s'améliore doucement mais sûrement. Encore quelques branches et le soleil réapparaîtra probablement.


Chapitre 6


Prélude : Pour respirer un peu, notre Ramina a pris ses aises dans une partie reculée de notre habitat végétal.




Un peu de repos pour penser à d'autres choses qu'aux tâches imposées et à la difficulté d'évoluer … infantile et mutine, elle a joué avec les rayons de lune, couru après les papillons de l'enfance, retrouver l'innocence des fraîches bises maternelles et paternelles pour s'endormir repue au creux d'un trop plein de plaisir. 10 jours ainsi, à rêver tout son comptant, à songer sans réfléchir, à rire sans raison, à vivre au gré de l'heure qui passe et à s'empiffrer de ce que la vie à de plus beau. C'est un espace de temps figé entre une page d'ennuis et une autre, une escale, un arrêt dans la vie pour retrouver les raisons d'avancer encore et encore.

Mais il faut en revenir de tout cela et si le Ramina est plus détendu, l'ambiance au sein de notre cour ailée n'a pas évoluée le moins du monde. Il fait toujours aussi froid sous ces frondaisons. Pas de changement non plus dans les attitudes, un Maître Buzzard trop occupé par lui-même, des pingouins surfant sans conviction ni logique, des écervelées aux 4 coins du parc et un piaf noirâtre qui traîne ces plumes grises au lever du jour jusqu'à notre Ramina ensommeillée et qui ricane méchamment dans une condescendance gluante de préjugés et d'orgueil.

Cette espèce est de celle qui vous laisse mal à l'aise. Vous la croisez tantôt et vous sentez l'angoisse mêlée d'une forme de dégoût vous remonter le long de la colonne vertébrale pour au final obstruer votre gorge au point d'en être coi. D'une certaine manière, l'on doit les associer inconsciemment aux monstres de notre enfance. Vous savez, le loup qui devait venir nous dévorer (il a sans doute préféré le chaperon rouge), l'ogre dans le placard de la chambre (Je les ferme encore aujourd'hui et vous ?) ou le sournois gnome dissimulé sous le lit. Même peur infantile, même réaction cutanée, même sentiment d'impuissance, on court après le doudou chaleureux et courageux qui fera fuir toutes ces ombres. Il est cependant difficile de courir les champs avec un ours en peluche sous le bras fusse un jour de carnaval.

Donc le Ramina est repartie affronter les emplumés et leur festival d'inutilité. Courir par ici, courir par là, éviter les croche-pattes, les brise-becs, les brûle-plumes, dormir avec un œil à l'affût et trouver le temps long, long tellement long.

Il est une chose pourtant qui les bouleverse soudain : La panne ! (Au voleur ! Au voleur ! A l'assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ! ...).
Les piafs ont perdu leur manuel de vol et c'est en crashs monumentaux qu'ils s'éparpillent tantôt. Le Ramina pourvue de griffes et, bien au-delà de leur condition d'êtres de l'air, ne se sent pas concernée le moins du monde par cette affreuse panne technique de la plume moderne (Ça plane pour moi ! Ça plane pour moi ! Ça plane pour moi moi moi moi moi ! Ça plane pour moi ! Hou ! Hou ! Hou ! Hou ! Ça plane pour moi !). Qu'ils tombent, qu'ils s'ennuient ferme au pied de l'arbre, qu'ils perdent leur temps en vaines tentatives de grimpettes (de toutes manières, il était déjà perdu bien avant cela).

Un sourire chafouin aux lèvres (le même qu'aurait adressé le chat du Cheshire à une Alice en larmes), c'est notre Ramina qui se pourlèche des déconfitures soudaines. Regardez-la qui se frotte aux branches hautes dans une délicieuse valse (à trois temps, qui s'offre encore le temps, qui s'offre encore le temps ...). Le manège est exquis et le ronron du chat agace jusqu'aux pingouins retombés bas si bas sur un simple accroc de l'air moderne.

Mais le chat pense et pense sagement pour lui :
'Croyez-moi, il n'y en a pas un pour rattraper les autres dans cette bande disparate d'individualités inutiles au possible. Voyez-les faire la roue, piquer du bec, s'emberlificoter les ailes, se limer les serres en se promettant que tout va revenir dans l'ordre !' 'Pfuuu ! Un ordre, quel ordre, il n'y a pas plus de logique à faire des choses qui ne servent à rien qu'à ne pas faire celles dont on a le besoin ! Non ?' 'C'est pathétique de voir à quel point le temps est dévalorisé, tourné en ridicule, gâché, manqué, raté, abandonné.
<> dit le proverbe !
Alors le monde des piafs est une immense fenêtre par laquelle l'on déverse jour après jour des tonnes de billets.'

Ainsi il est, ainsi soit-il, c'est le désordre qui ravit la bête et c'est dans un demi-sommeil qu'un soupir tranche l'air sur l'assoupissement soudain du fauve rassasié.


Chapitre 7


Prélude : Quand l'anarchie touche le pays des merveilles, la logique redevient la norme.




Imaginez un peu ce qu'il serait advenu d'Alice si le désordre avait touché à la folie ambiante du Pays des Merveilles. Imaginez ! Faites un effort ! Ce n'est pourtant pas bien difficile ! C'est une évidence dirais-je si j'osais ! ... Et oui tout serait redevenu normal.

Il y a pourtant des pointes de génie (Aladin ! On peut t'appeler Al ? ...) dans cet espace mais biaisées (il n'y a pas de "i" en trop) au point de devenir piège sans même que l'on n'y puisse rien faire. Voyez ce cousin du Ramina (si si par sa mère au troisième degré des chats de gouttière), ce chat hystérique et maniaque, le machiavel des songes, l'hypocrite au sourire en forme de lune (il n'existe rien de plus félin que la lune). Oui, le chat du Cheshire, lui-même et nul autre qui déclare tantôt à la pauvre fillette perdue qu'il est fou (et pas d'amour croyez-moi). Il s'appuie sur cela sur une logique implacable. C'est une évidence, il est fou. Dans le même temps ce que ce trait d'honnêteté pouvait avoir de réconfortant devient terriblement pesant car c'est esprit éclairé (par la lune ... suivez du diable !) continu sur sa lancée et le voilà de déclamer que tout un chacun se trouve être en sa folie. Alice est perdue nulle raison ne pourra l'en sortir.

Ainsi, ce qui rend le Pays des Merveilles parfaitement cohérent c'est son absence de bon sens, et ce qui la briserait verrait le règne de la raison (Mais qu'est ce que la raison ? Bonne question !).

Mais reprenons le cours de notre histoire. Le désordre c'est emparé de l'endroit et le farfelu devient vite norme et raison (toujours pas de sentiment). La démence devient esprit, l'illogisme devient évidence, le Pays des Merveilles redevient quotidien et plus rien, plus rien, notre chat leur appartient. A les côtoyer chaque jour, à vivre dans leur immonde, à respirer leur air, à supporter leurs claquements de bec, le Ramina est venu à la philosophie et ne trouve plus grand chose à y redire.

Elle a su se faire une place même si la branche n'est pas large et elle sait déjà qu'elle n'y restera pas.
Demain ou plus tard, le Ramina partira pour d'autres allées et venues, pour d'autres gouttières, d'autres faunes, d'autres mondes, d'autres lunes aussi En attendant, elle apprend car ce qui l'est important de ne pas oublier lorsque l'on chute ou que l'on se fait mal c'est que rien ne sera vraiment perdu si l'on en retient la leçon.


Résumé et fin



Il est une fois Raminagrobis téméraire.
Qui prit ses aises, tomba, se releva.
Connut le doute, la peur, l'effroi.
Combattit l'ennui, l'ignorance et l'amer.


Il devint plus que lui-même et bien moins que les autres.
Il attendait son tour et quand celui-ci vint.
Quand le malheur s'abat et que les grands se vautrent,
Quand le soleil vous brûle et le puissant s'éteint.


Et quand viendra ce temps,
Notre chat ronronnant,
Tout en haut de sa branche,
Prendra toute ses revanches.


Il partira tantôt,
Pour une autre leçon,
La lune au blanc halot
Guidera ses petons.


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