LES ELFES
Les Elfes de France
Les elfes ont eu, avant bien d’autres, la culture de l’animal de compagnie.
Ailé, aquatique ou terrestre, chaque famille, chaque clan s’est attaché à une
espèce au point qu’à partir de Ménban’licka la frileuse, souveraine de l’an
fleur de pavot, les différentes corporations ont été désignées commodément
par le nom de leur mascotte.
Le choix de l’animal n’allait pas sans de longues et minutieuses recherches car
il fallait s’attacher à déterminer lequel saurait représenter la communauté
dans toute sa diversité et lequel saurait répondre à son tempérament aussi bien
qu’à son rythme de vie. On n’aurait pas pu imaginer les érudits du sud parés
d’une pipelette à 3 becs ou d’un osciflo bécasse. De même, la tribu des néidées
de grande Flandre, futiles et esthètes, n’aurait pu admettre d’être représentée
par le vampire à tête de bœuf ou par un bufflon à cornes vipérines. Cependant
au cours des siècles chacun avait fini par trouver mascotte à son aile et peu
discutaient encore du choix à faire et à tenir.
Les elfes de France était une communauté jeune au regard de la grande histoire elfique.
Avec moins de 4 dynasties régnantes, elle faisait même figure de cadette. C’est aussi
la raison pour laquelle l’animal symbole n’avait pas encore pu être élu. 2 dynasties
déjà avaient lancé la recherche mais le choix vaste des origines n’était plus à ce
moment là qu’un souvenir et les grandes chimères disparues, il fallait faire son choix
dans des espèces d’une banalité qui n’étaient pas du goût des elfes.
Agacé par le fait, le nouveau souverain (il avait pris trône à la dernière lune) lança
une campagne unique en son genre. Il fut décidé qu’un concours devrait départager les
animaux du monde et que le vainqueur obtiendrait l’agrément du peuple dans son ensemble.
Ainsi tous les propriétaires heureux d’un animal étaient-ils invités à le faire concourir.
Pour tester les animaux, le conseil des sages mis au point une série d’épreuves
qui respecterait la sécurité des bêtes tout en leur permettant de faire leur preuve.
Longtemps tous les animaux luttèrent d’épreuves d’équilibre ou de force en épreuves
de logique et d’intelligence et bientôt il n’en resta que 3 :
Le chien représenté par un magnifique berger de montagne
Un pur-sang arabe pour les chevaux
Un chat endormi au bord d’une fenêtre
On donna alors la semaine à chacun pour persuader un elfe de France choisi au hasard
qu’ils étaient le seul animal digne de les représenter.
A chaque pas de l’elfe désigné, le chien suivit et obéit, il fut fidèle et
bienveillant, il protégea la famille, il attendit les caresses et amusa tout un
chacun. Pourtant quand l’elfe du chien revint de sa semaine, il n’était
as convaincu. Voilà dit-il aux sages un animal qui mérite beaucoup d’attentions,
il conviendrait à tout un chacun et la masse entière serait heureuse d’un tel jouet.
Mais les Elfes de France ne sont pas des suiveurs, la conformité les agace,
l’obéissance les tue. J’attends plus d’indépendance d’esprit de l’animal
que je dois être, il est plus mon subordonné que mon égal et jamais elfe de
France ne serait subordonné de quiconque.
Le pur-sang servit de monture avec grâce et courage. Il porta tout ce qu’on
désira lui faire porter. Il hennit joyeusement à chaque nouvelle ballade. Il
plut à la famille. Pourtant l’elfe qui le gardait revint sans plus de conviction
faire son compte-rendu. Cet animal est fier, dit-il pour commencer, il a
beaucoup d’allure, il sait plaire sans doute. Mais il a suivit la route que
je lui ai montrée, il a baissé l’échine lorsque je l’attelais. Il est plus
mon subordonné que mon égal et jamais elfe de France ne serait subordonné
de quiconque.
Le troisième elfe prit le chat avec lui. A peine rentré en maisonnée, celui-ci
marqua le territoire et sans attendre davantage partit se promener sur les toits.
Au matin, il revint réclamant à miaulements répétés une gamelle pleine. Il
ignora les enfants, frotta doucement les jambes de la maîtresse de maison et
partit dormir sur la moelleuse couette de la chambre. Ainsi 6 jours de suite,
nul de la famille ne put obtenir plus qu’un regard hautain ou un miaulement plaintif.
Les enfants lui courraient après mais n’en obtenait guère, le père ne le voyait
que pour lui céder une place sur ces genoux et sa compagne n’était là pour le chat
que lorsque la gamelle n’y était pas. Au septième jour, l'elfe ouvrant les yeux
trouva cependant le chat au bord de sa table de chevet. Il le regardait avec un
regard d’une intensité difficile à soutenir. L'elfe avança la main et le chat
s’y frotta, il dégagea une place et le chat s’y blottit, il en tomba amoureux
et le chat ronronna.
Vint le tour du chat à l’audience et c’est ainsi que l'elfe parla :
'Le chat est tel que je ne saurai quoi en dire depuis 6 jours qu’il m’ignore
et me fuit. Le chat est paresseux comme nous autres du sud, dédaigneux comme
ces autres du Nord, libre et sans fidélité comme aucun elfe de France, il est
gourmand, il est colère, il est envieux, il est mufle et dédain … J’ai trouvé là
un animal qui réclame sans donner, qui prend sans demander. C’est le plus
épouvantable des animaux qui soient, le moins digne d’être jamais mascotte …'
Un silence glacial répondit à son élocution. Les juges bien en peine se voyaient
déjà répondre au roi que nul animal ne convenait.
Mais l'elfe repris un sourire léger sur les lèvres et les yeux pétillants d'une
joie sincère :
'Pourtant amis elfes ce matin, j’ai recueilli un trésor qui ne rien n’aurait pu
acheter et qu’on ne pourrait me voler. J’ai trouvé mon égal dans l’orgueil, mon
image dans la fierté, mon reflet dans l’irrespect et une âme sœur à qui s’ouvre
pour elle. Le chat réclame sans donner mais donne sans que l'on lui réclame. Le chat
prend sans demander mais sait nous demander de prendre.'
Le plus curieux dans l'histoire c'est que le jury choisit de ne pas y croire.
Longtemps, ils délibérèrent seuls dans une salle éloignée du palais. Durant ce
temps, l'elfe parla tellement que le moindre chaton trouvait maître immédiatement
et au jour de la décision, cette dernière n’était plus à prendre. Le chat avait
conquis tout ce qu’il y avait à conquérir, le cœur même des elfes de France.
Et c'est ainsi qu'il devint l'emblème de ce peuple.
La Reine des Elfes
Quand les elfes peuplaient encore forêts et grands lacs, la reine des elfes de France,
une elfe de toute beauté, avait élu domicile dans les grands monts de la Forêt Noire.
C’était sa résidence d’été bien entendu mais elle y était si bien qu’elle rechignait
à la quitter même pour les quelques semaines du dur hiver semi-continental. Elle était
donc bien loin des préoccupations des siens d’autant que la belle était fort vaniteuse,
voire narcissique.
Elle ne passait pas 2 heures sans chercher à être couverte de louanges par tel ou
tel pourvu qu’il s’extasie sur son éblouissante personne.
Le bal de l’automne devait avoir lieu et tous les princes, les ducs et les grands
monarques y étaient invités et faisaient le long voyage jusqu’au palais de la Forêt
Noire.
Vint la délégation du grand Nord et les magnifiques dragons nordiques aux yeux perle
et aux ailes bleu glace.
Arriva la délégation de l’Ouest et les licornes des grands espaces, fougueuses,
splendides et admirablement sauvages.
Se présentèrent les délégations du sud accompagnées des chimères et des sphinx couleur
de sable, jetant du feu et capablent d’imaginer milles énigmes sans réponse.
Accoururent les défilées de l’est dont les vampires et les sorcières mugissaient
aux quatre vents pour donner le frisson et l’effroi.
Enfin, la petite noblesse de France se présenta aux portes du palais avec pour tout
bagage leurs ailes d’elfes et de petites boules de poils, pas plus lourdes que des
lutins, les chats.
La reine était ravie, pareille cour pour parer sa beauté, voilà qui devrait satisfaire
parfaitement son orgueil et répondait à son goût pour le luxe et pour la féerie.
Le premier jour, elle s’en alla voir le Nord, les dragons éblouis par la finesse
de sa majesté perdirent leur sang froid et prirent la couleur rouge des cerises
au printemps. Devant le phénomène, le prince porta un genou en terre et demanda
la main de l’orgueilleuse. Mais la pécheresse était vaine et pensait que si les
dragons lui rendaient tel hommage, elle pourrait obtenir bien plus encore.
Le second jour, elle prit le parti de rendre visite à la délégation de l’Ouest,
mais à peine c'était-elle présentée aux licornes que ces dernières perdant toute
volonté, se couchèrent telles des enfants devant une mère. Fasciné par la réaction
de ses bêtes, le prince s’empressa à son tour de demander la main de la reine.
Cette dernière pensive ne se laissa pas séduire et forte de ses deux succès se
promettait bien de mettre le monde à ces pieds.
Le troisième jour, ses visites la conduisirent chez les elfes du Sud qui devisaient
gentiment autour des fontaines. La reine parut dans toute sa splendeur et les chimères
pour peu en perdirent leur latin. Les sphinx béats ne dirent plus un mot et le silence
se fit là où le murmure avait toujours siégé. Le prince du sud qui jamais n’avait été
détourné des propos de son peuple rejoignit la délicate. Il lui présenta ses hommages
et son désir d’unir leurs vies. Cela aurait pu suffire mais la reine gagnait en
assurance à chaque coup victorieux et son désir plutôt que d’en être satisfait n’en
était qu’avivé.
Le quatrième jour, elle se rendit à l’Est et les vents s’éteignirent au moment même
où elle en franchissait les portes. Les vampires à cours de souffle oublièrent
qu’ils n’avaient jamais mit pieds à terre et les sorcières, tentées par la beauté
de l’elfe, oublièrent jusqu’à l’art de grimacer. Le Prince de l’Est tenta de
convaincre la reine de succomber aux charmes de son pays et de devenir la
souveraine des terres de l’Est. Il ne lui restait guère à voir mais la demoiselle
ne savait comment mettre un terme à sa gourmandise, elle refusa donc.
Le cinquième jour, elle se rendit dans les jardins de France, ainsi nommés car ils
accueillaient chaque année la délégation du pays. Elle entra et passa d’allée en
allée mais nul ne se retourna sur son passage. Tous semblaient l’ignorer. La vérité
était qu’ils ne la connaissaient pas et qu’ils étaient bien trop intéressés par le
curieux animal qu’est le chat pour s’inquiéter de nouvelles arrivées.
Furieuse la reine tonna et hurla tant et si bien que chacun se tourna enfin vers
elle cherchant les sourcils froncés la source de tous ces désagréments sonores.
Ayant appris qu’elle était reine, ils s’inclinèrent posément mais retournèrent
aussitôt s’occuper de leurs félins.
La reine attérée pris le temps de réfléchir. La situation la contrariait. Elle
n’avait jamais vu de chat, bien qu'ils furent son emblème et aucun des recueils
de l’animal magique n’y faisait référence. Et pour cause le chat n'entre pas dans
la catégorie des bêtes à pouvoir. Elle devait avouer une parfaite méconnaissance
du sujet.
Elle prit la décision de s’approcher de la bête et par son entremise de retourner
les attentions vers elle. Après tout, elle avait fait plier toutes les directions
en apprivoisant les mascottes, le chat n’était guère plus qu’un challenge de plus.
Un chat à quelque pas, somnolant, fut sa première tentative. Elle se planta à ces
cotés et fit ordonner qu’on lui apporte un coussin royal, un page et un dais de soie.
Mais le chat est nature, il a sommeil et aime profiter de sa sieste comme il l’entend
et point comme d’autres le voudraient. Dérangé par ce remu-ménage, il secoue ses
oreilles, se retourne vivement reprendre son sommeil sur une branche d’arbre à l'abri
de tout salamalèque.
Un second chat faisant sa toilette parut plus simple à approcher. Se faisant douce
et souriante, la reine lui tendit d'un geste fat sa main à baiser. Mais le chat ne
fait pas pour autrui ce qu’il ne ferait par pour lui-même. Alors il poursuivit son
plaisir ignorant cette patte tendue.
Un troisième chat jouant à courir après une balle attira l’attention de la reine.
Celle-ci convaincue de tenir sa première victoire, attrape la balle et la cache
prestement derrière elle. Mais le chat est très joueur, c’est un tout jeune chaton.
Persuadé qu’il ne s’agit là que d’un nouveau jeu, il s'agite, grimpe aux soieries,
effraye la reine qui lâche enfin la balle. Le chaton récupère alors sa balle et
reprend tranquillement ses courses.
La reine à terre est lasse et toute triste. Elle comprend bien alors que l’admiration
ne fait pas l’attention et que l’honneur rendu à son image n’est que l’ombre d’un lien
sincère. A ce moment, elle donnerait tout pour simplement exister pour cette animal qui
l’ignore superbement.
Un petit elfe approche alors, il porte une belle chatte blanche dans ses bras. Elle
ronronne à ses caresses et se frotte indolente contre ses mains. Il pose doucement
l'animal qui se frotte à ses jambes. Il s’enquit enfin des raisons d'un tel chagrin.
La reine honteuse lui explique alors que tous se plient à ses caprices, qu’on loue
sa beauté aux quatre coins du globe et que pourtant un simple chat refuse de lui
porter la moindre attention.
'Vous pleurez donc de dépit et par orgueil, ma reine ?' lui dit-il gentiment
'Hélas je pense que vous avez raison, monsieur' avoua t'elle simaplement
'Pourquoi vous préoccuper du chat lorsque vous avez l'attention de tous les autres ?'
ajouta l'elfe plein de curiosité.
'Je ne sais monsieur mais je crois que c'est la sincèrité d'un regard que je recherche
vraiment. Pour tout vous dire, j'ai l'impression que cet animal sait voir plus que
nous même et je n'en suis pas digne'. La reine soupira, exhalant un sanglot.
Le prince de France, car c’était bien lui, reste songeur un moment et enfin il lui
répond :
'Le chat, voyez-vous, n’est ni magique, ni merveilleux. Il ignore les féeries et
s’attache à votre cœur. Vous avez ignoré votre peuple, il vous a oublié. Vous n’avez
pas montré votre cœur, le chat vous a ignoré. Mais si vous me faites le bonheur de
devenir mon épouse, je vous montrerai qu’être aimé de son peuple c’est ainsi que
pour le chat une longue tâche mêlée d’attention, de justesse et d’honnêteté mais
qu’au bout de ce compte, vous en sortez plus riche que le plus grand des rois.'
Conquise la reine baissa timidement les yeux et prenant la main du prince s'assit
sur l'herbe l'invitant à poursuivre la conversation. Le chaton fatigué et repu
de ses jeux, qu'elle avait depuis longtemps oublié, vint alors à la belle et sur ses
genoux s'endormit.